Sans avoir l’air d’y
toucher, grâce à une stupéfiante dextérité manuelle et intellectuelle, le
shabbat-goy vide les pots de chambre et sert la soupe presque simultanément le
samedi dans la maison du maître juif ; il joue par conséquent un rôle
social d’une extrême importance, puisqu’il permet au Juif de respecter
scrupuleusement les commandements de Yahvé le jour du shabbat en le libérant des
pénibles contraintes de la vie domestique. Ce méritoire dévouement procure ainsi
au Juif pieux le détachement et la sérénité qui lui sont indispensables s’il
veut atteindre les plus hautes sphères de la plus pure ascèse contemplative par
laquelle il arrive à surpasser les exploits des plus grands fakirs.
Une fois acquises, ces
capacités quasi surnaturelles lui permettront de donner de ce bas-monde l’image
virtuelle d’une corne d’abondance à disposition de toute la misère du monde, pour
autant bien entendu que les bénéficiaires prennent la peine de se rendre dans
les lieux appropriés aux magnificences, lesquels se situent, comme chacun le
sait bien, plutôt en Europe qu’en Sibérie...
Les autres jours de la
semaine, le shabbat-goy a même le droit d’user de son temps libre à sa guise
s’il souhaite arrondir ses fins de mois : il sera alors président-directeur
général, haut fonctionnaire, magistrat, évêque, barbouze, ministre, député,
homme de lettres ou homme de main, amuseur ou aboyeur à la radio ou à la
télévision, voire même président de la République…
Il fut un temps où
Jean-Edern Hallier passait pour l’affreux jojo de la République. C’est en tout
cas l’étiquette que les médias s’efforçaient de lui coller. Le personnage, pourtant,
ne manquait ni de conviction, ni même de talent. Soixante-huitard indécrottable,
il s’était vu évincé par d’autres, plus habiles que lui dans l’art du
retournement de veste. Difficile, quand on est Breton et que son papa de
général était un homme lige du Maréchal, de ne pas se faire marcher sur les
pieds par les Cohn-Bendit et autre BHL de service. François Mitterrand, avant
son élection à la présidence de la République, lui avait promis, dit-il, le
portefeuille de la Culture. Jean-Edern Hallier eut la faiblesse d’y croire,
jusqu’au moment où un certain Jack Lang, Juif quand même, fut nommé à sa place...
Depuis cet inexplicable malentendu, Jean-Edern Hallier s’était engagé dans une
guerre de tranchée contre l’Elysée. Tout cela est fort bien raconté dans son
livre L’honneur perdu de François Mitterrand, où il disait, entre
autres vérités : « L’ami de la
vérité n’a pas d’amis » (page XII). Autre perle (page 109) :
« L’Attali renifleur faisait don de
sa Personne au public […] Comme il se donnait sur toutes les antennes, ce petit
escroc : ‟Je ne dors qu’une heure, le jour je me donne au Président, la
nuit je me donne à la philosophie‟, pérorait-il en faisant don de sa
mystification à la France… » Bref, on sait maintenant que Jacques
Attali est un authentique fakir…
Le rédacteur en chef et
fondateur du journal L’Idiot international fut condamné à
de multiples reprises pour délit de presse, et plus particulièrement en 1991
pour « incitation à la haine raciale »,
suite à des propos « outrageants ou
abjects s’appliquant à désigner les Juifs comme la lie de l’humanité ».
C’était pendant la guerre du Golfe (pas celui de Saint-Tropez…) Juste
500 000 morts du côté des récalcitrants à l’abondance, mais ce n’étaient
que des Irakiens. Bref, la routine de Pourim…
Tout cela, il est vrai, finit
fort mal lors d’une promenade à bicyclette. De méchantes langues prétendirent
que la chute mortelle de Jean-Edern Hallier ne fut pas qu’accidentelle…
Le témoignage que laisse
Jean-Edern Hallier de la soirée qu’il passa au château de Ferrières (6000
hectares, 600 domestiques…), invité par le baron Guy de Rothschild, ne manque
pas de saveur. Il voulut que l’illustre shabbat-goy, si bien décrit à cette
occasion, restât dans l’ombre de l’anonymat, mais le prénom qu’il donne est le
bon.
« Chez
les Rothschild, en leur château de Ferrières, somptueux et laid, avec ses
longues salles à colonnes, son mobilier second Empire, convié au réveillon
intime de Noël, je fus bouleversé par la découverte suivante : cette
grande bourgeoisie n’est pas seulement puissante. La fascination qu’elle exerce
sur ceux qui sont admis à pénétrer son intimité les conduit à perdre toute
dignité, pour plaire, amuser et grimper dans l’échelle sociale.
« Elle
favorise d’abord ceux qui, de gaité de cœur, sont ses bouffons. Et, que leur
importait, ce soir-là, que l’homme en train
de danser ne fût qu’un bon fondé de pouvoir ? Sa devise est
d’abord, car elle meurt d’ennui : amusez-vous, nous vous récompenserons.
Le baron et son épouse ─ Belge exsangue et blonde, faisait briller ses bagues
aux feux des lustres, en gestes dolents, avec un petit rire strident et
méprisant ─ contemplaient cet homme tourner sur lui-même, dodelinant sa grosse
tête sanguine d’amateur de bonne chair et de viandes délicatement faisandées.
L’actualité commençait à faire de lui un personnage public, depuis les
négociations de Melun, les premières de la guerre d’Algérie, qu’il venait de
mener. Déguisé en Arabe, avec sa chéchia, son burnous, il tapait sur un tambour
de peau arabe. Le montreur d’ours, le baron, rameutait ses convives :
« Venez-voir comme il est drôle ! »
« Ce
Georges-là, [Pompidou] à moins d’une indigestion ou d’une
révolution, sera là où il est aujourd’hui, en 1972. Janus, la respectabilité
honoraire de ses fonctions, il en jouera en politicien rusé ; n’admettant
aucune offense, puisqu’il inaugure ainsi les chrysanthèmes. Ô fleurs de la
République, sous leurs couronnes, quelles sordides combines ne se tressent
pas ! Mais jamais l’écrasante majorité de ceux qui sont condamnés à subir,
ni même de ceux qui tombent dans le piège de la légende dorée, ne se seraient
ainsi conduits, avec la même gaieté de
cœur. Comme il était fier de dire à ses maîtres : « Admirez-moi dans
mon rôle ! » Même les valets sont payés pour leur dignité. Depuis
longtemps, au reste, ils portent le smoking mieux que leurs employeurs. Jamais
on ne vit, non plus, ouvrier accepter de danser ainsi devant son patron qui, au
reste, ne le lui demanda pas. Mais ce Georges, dans les allées du pouvoir,
avait surtout besoin de monter son absence d’amour-propre, gage suprême. »
Jean-Edern Hallier, La Cause des Peuples, Seuil, 1972, page 88-89