Pie IX (1792-1878)
« Pris sur
le fait, l'impayable commandeur !... Voici un récent incident qui a donné lieu
aux commentaires parmi les catholiques de Rome :
« Dimanche
7 mars 1897, les fidèles se pressaient dans la basilique Saint-Pierre
l'après-midi ; un Te Deum solennel d'actions de grâces y était chanté pour
célébrer le commencement de la vingtième année du pontificat de Léon XIII et
l'anniversaire de son couronnement. A Rome, dans les grandes basiliques, il n'y
a pas de chaises et la foule qui y pénètre à flots pressés forme comme des
courants divers s'écoulant en sens contraires.
« Or, il
faut savoir que le grand-maître du Grand Orient d'Italie, le Franc-Maçon
Ernesto Nathan, a la sacrilège audace de s'introduire dans les basiliques pour
espionner lui-même, pendant les cérémonies du culte : ce que Lemmi n'ose
pas. Chez Nathan c'est une habitude. Nathan était donc venu à Saint-Pierre, ce
jour-là, mêlé à la foule pieuse et croyant passer inaperçu. Mais, son manège
ayant été remarqué par un catholique, celui-ci suivit le grand-maître, fils naturel
de Mazzini et de Sarah Nathan dont j'ai parlé dans mon volume sur Crispi.
« Le
hasard fit que, dans le va-et-vient de la foule, Pietro Pacelli et Ernesto
Nathan se croisèrent. Pacelli, qui ignorait que le grand-maître espion était
lui-même surveillé, Pacelli, que les catholiques ne soupçonnent pas être en
relations avec la secte, Pacelli, ne se croyant pas vu, salua gracieusement le
Franc-Maçon Nathan. Je cite les termes mêmes du correspondant très sûr qui m'a
transmis la nouvelle : « Pacelli salua Nathan très gracieusement, de
l’air d'un ami très cher, et Nathan répondit à son salut de même. » On
juge de la stupéfaction du catholique qui s'était attaché aux pas d'Ernesto Nathan.
Le vice-président de l'Union antimaçonnique est donc en rapports d'amitié avec
le chef des Francs-Maçons italiens, et il « témoignait son amitié »
au grand-maître en pleine basilique Saint-Pierre, dans des circonstances ou la
présence de celui-ci était une profanation !... Ce fait, bien significatif
a été aussitôt porté à la connaissance de plusieurs, et chacun de dire : « Ce
n’est donc pas seulement le fils Pacelli, le conseiller municipal, qui fraye avec
Nathan ! mais le père, Pietro Pacelli, est lui- même en excellents termes
avec le chef des ennemis qu'il affecte de combattre ! Les Alliata et
Veraichi recommandent à tous les anti-maçons italiens de ne pas ébruiter
l'incident. C'est pourquoi je considère comme un devoir de l'imprimer tout vif.
A bas les masques, messieurs ! »
Témoignage donné par Diana Vaughan lors d’une conférence
sur le Palladisme donnée le lundi 19 avril 1897 à grande salle de la Société de
Géographie, boulevard Saint Germain à Paris. (1)
Les deux familles Pacelli et Montini avaient depuis
longtemps été associées aux affaires vaticanes. Le grand-père d'Eugenio
Pacelli, Marcantonio, originaire de la province de Viterbe était venu à Rome
vers 1840, lorsque son frère Ernesto, associé à la Banque Rothschild, se
chargea de faciliter un important emprunt des Etats Pontificaux sous le
pontificat de Grégoire XIV. Ernesto resta sur place pour installer à Rome les
premières agences du Banco di Roma, cependant que Marcantonio devenait l'homme
de confiance et conseiller juridique de Grégoire XIV et de son successeur, Pie
IX, accompagnant ce dernier dans son exil à Gaëte, lorsque les troubles politiques
à Rome devinrent par trop inquiétants. Justifiés ou pas, les troubles
révolutionnaires dans les Etats Pontificaux avaient été déclenchés à l'instigation
des chefs de la Franc-Maçonnerie italienne. Tout comme les protestants du XVIe
siècle étaient d'ex-catholiques, prétendant avec assurance avoir découvert une
meilleure expression de leur foi, les maçons au cours du XIXe siècle étaient
d'ex-catholiques persuadés d'avoir découvert une manière meilleure de vivre et
de diriger la société.
Dans les pays catholiques, en particulier l'Italie et la
France, la démarcation n'était pas toujours claire entre catholiques et maçons.
On sait qu'au moment de la Révolution française des centaines de clercs français
avaient ajouté un serment maçonnique à leurs engagements sacerdotaux et que,
selon des sources maçonniques qui se prétendent fiables, le RP Giovanni Maria Ferreti
qui deviendra la Pape Pie
IX avait été admis à l'âge de quarante-six ans à la loge La Chaîne
éternelle de Palerme en 1837. Ceci fut une pure calomnie de la Maçonnerie
pour se venger du saint pape de l’Immaculée et de l’Infaillibilité Pontificale. Réinstallé dans ses fonctions, Pie IX vécut
pour convoquer le Concile du Vatican de 1870, aujourd'hui dénommé Concile
Vatican « premier ».
A son retour de Gaëte, Marcantonio Pacelli abandonna
ses fonctions aux côtés du Pape pour rejoindre les fondateurs du journal du
Vatican l'Osservatore Romano. Comme
ce sera le cas du petit Montini quelques années plus tard, Eugenio, le petit-fils
de Marcantonio, ne fut pas autorisé à fréquenter l'école. On le disait trop
frêle (exactement ce que l'on dira du petit Montini) ; il eut donc un
précepteur à la maison jusque dans les années terminales de ses études
secondaires, avant d'être diplômé du Lycée Visconti, établissement d'Etat bien
connu des Romains pour être le plus anticlérical et opposé à l'Eglise de tous
les lycées de la
ville. Eugenio Pacelli n'avait que deux ans lorsque son père
le présenta à Pie IX presque mourant, qui, de son lit, lui aurait dit :
« Eduquez bien votre jeune fils pour qu'un jour il serve le Saint-Siège ».
Le successeur de Pie IX, Léon XIII maintint la
tradition faisant des Pacelli une « famille du Vatican » et prit
Eugenio sous son aile sitôt ses études secondaires terminées, le plaçant pour
le former sous la tutelle du Secrétaire d'Etat, le cardinal Rampolla, dont il
sera pendant un temps le secrétaire. « Faites en un bon diplomate »
fut la recommandation du Pape. De nouveau le jeune homme ne devait pas suivre
un cursus estudiantin normal. Il fit ses études ecclésiastiques chez lui, et ne
rejoignit le séminaire de la Capranica que pour les deux dernières années
d'études et en tant qu'externe, sur les instances du cardinal secrétaire d'Etat
Rampolla auprès du Recteur de cet Institut.
Si le choix par la famille Pacelli du
Lycée Visconti avait été étrange, celui de la Capranica par le cardinal était
plus déconcertant encore, si l’on oublie que Rampolla était un haut maçon d’une
loge pratiquant la magie noire, les messes noires, etc... Dans les années 1890,
ce séminaire était de notoriété publique réputé être en Italie le quartier général
des modernistes, plus tard condamnés par saint Pie X. Cet Institut a maintenu
jusqu'aujourd'hui sa réputation, recueillant « l'abbé rouge »
Franzoni après son suspens a divinis
de 1970 et Ivan Illich du CIDOC, pendant que les habitants du quartier
continuaient de se plaindre de bruyantes célébrations nocturnes s'y déroulant
des nuits entières, à l'intérieur et aux abords dans les rues sombres qui
l'entourent, à chaque triomphe communiste, que ce fût pour l'adoption de l'avortement
légal par le Parlement italien ou pour le succès de la gauche lors d'un
référendum au Chili.
Tout y était beaucoup plus calme à la fin du siècle
dernier, et l'enseignement bien que peu orthodoxe y était sans doute aussi plus
sérieux. On ne saura sans doute jamais précisément la teneur de l'enseignement
particulier que reçut le futur Pie XII, mais sa maigre scolarité dans
l'isolement s'ajoutant au pli révolutionnaire des établissements qu'il
fréquenta font une étrange préparation pour une carrière dans la hiérarchie Catholique. En
tout cas, ce n’est pas dans ce contexte qu’il apprit à combattre les ennemis de
l’Eglise…. Une fois Pape, Pie XII demeura fidèle à la Capranica, à laquelle il
consacra l'une de ses rares excursions hors du Vatican en 1957, pour inspecter
les travaux de restauration qu'il avait lui-même fait entreprendre sur les
principaux bâtiments. C'est à propos de celui que le Pape Léon XIII avait chargé
de guider l'enfant Pacelli, le Cardinal Rampolla, qu'il devient difficile
d'éviter le terme de conspiration, ne serait-ce que parce que le cardinal, issu
de la noblesse sicilienne, est l'un des personnages les plus noirs de l'histoire
de l'Eglise Catholique.
Titulaire du poste en second le plus important du
Vatican pendant seize des vingt six ans du pontificat de Léon XIII, il était
généralement admis que le cardinal Rampolla serait le prochain pape. Le Pape
Léon XIII étant mort en 1903, un conclave fut convoqué au cours duquel les
premiers scrutins virent monter les chances de Rampolla, lorsqu'à la
stupéfaction des électeurs, le cardinal métropolitain de Cracovie se leva
soudain pour demander l'arrêt de la procédure, par une déclaration qui allait
être retransmise par tous les télégraphes du monde. Parlant au nom de Sa Majesté
impériale François-Joseph d'Autriche-Hongrie, le Primat de Pologne mettait un
veto à l'élection de Rampolla. Aussi ennuyés que stupéfaits, les Pères du
Conclave découvrirent que par suite d'une clause oubliée d'un Traité entre
Vienne et le Vatican, cette intervention les liait juridiquement.
Il n'était pas donné de raison au veto, encore qu'une
fût suggérée de nature politique. On supposait que l'Autriche avait été
indisposée par certaines attitudes pro-françaises de Rampolla. Des années plus
tard cependant, il fut révélé qu'un certain Mgr Jouin, prêtre français
fondateur de la
célèbre Revue Internationale des Sociétés Secrètes, qui se
consacrait à rechercher les Francs-Maçons avec le zèle d'un Simon Wiesenthal de
nos jours recherchant les nazis, avait apporté ce qu'il disait être l'irréfutable
évidence que le cardinal n'était pas seulement un membre de la Loge mais bien
le Grand Maître d'une secte particulièrement secrète, connue comme l'Ordo Templi Orientalis, dans laquelle
il avait été initié en Suisse quelques années plus tôt. Les efforts de Mgr Jouin
pour faire parvenir cette information à l'attention du Pape Léon XIII avaient
bien évidemment été jusque là annihilés par Rampolla, ses assistants et ses
amis à la Secrétairerie d'Etat. Anxieux de faire connaître le fait avant
l'ouverture attendue du conclave, Mgr Jouin avait contacté la Cour d'Autriche
et y avait été écouté.
Dans une étude récente, l'historien italien Giovanni
Vanoni s'étend quelque peu sur le sujet de l'Ordo Templi Orientalis, autrement
connu comme l'OTO. Il l'appelle l'une des sociétés secrètes parmi les plus surprenantes
de celles qui existent actuellement. Cette secte avait été fondée quelques
années avant le conclave en question par un riche viennois, que ses fréquents
voyages en Extrême-Orient avait rendu adepte de « techniques de magie sexuelle »
enseignées par certains yoguis en Inde. Etaient co-fondateurs de l'OTO deux allemands :
Théodore Reuss, également membre du rite maçonnique de Memphis, rite très
secret d'origine anglaise, et Franz Hartman, un médecin qui avait passé
plusieurs années aux Etats-Unis attaché au siège de la Société Théosophique,
fondée par Mme Blavatski. Plus tard l'OTO comptera parmi ses fidèles Rudolph
Steiner, dont les enseignements joueront un rôle important dans la vie d'Angelo
Roncalli, causant son renvoi de la Faculté théologique du Latran. Le membre le
plus célèbre de l'OTO fut probablement Alistair Crowley, immortalisé dans le
premier roman à succès de Somerset Maugham : Le Magicien. Elu Grand Maître en 1912, Crowley se prétendit « être
guidé par une intelligence supérieure », qui lui conseillait « d'ouvrir
une Nouvelle Ere, destinée à succéder et à remplacer l'Ere Chrétienne, cette dernière
étant à l'agonie ». Il se faisait appelé lui-même « la Bête ».
Quels qu'aient été les liens réels de Mariano Rampolla
del Tindaro avec ces groupes, il faut noter que la dernière condamnation claire
de la Franc-Maçonnerie par le Vatican remonte à l'encyclique Humanum Genus
écrite en 1884, soit trois ans avant que le Pape Léon XIII ait nommé Rampolla
son Secrétaire d'Etat.
Il est d'un plus grand intérêt encore de retracer les relations
de Rampolla avec les cinq hommes qui devaient amener l'Eglise Catholique à
cette « nouvelle ère ». Giacomo Della Chiesa, le futur Benoit XV,
était un diplômé de la Capranica qui fut choisi par Rampolla pour être son
secrétaire privé à la Nonciature de Madrid, ce qui allait fonder vingt ans de
relations. Une fois Secrétaire d'Etat, Rampolla fit venir Pietro Gasparri de
l'Institut catholique de Paris, dont il fit son premier adjoint à Rome.
Gasparri deviendra le détenteur du pouvoir derrière le trône de Pie XI. Pendant
ce temps, le jeune abbé Pacelli, demeuré longtemps sous la tutelle directe de
Rampolla, devint son secrétaire particulier et l'accompagna dans ses fréquents
voyages pour d'importantes missions diplomatiques. Ils assistèrent ainsi ensemble
aux funérailles de la
reine Victoria. Chargé des minutes à la Secrétairerie, l'abbé
Pacelli avait accès, à l'âge d'environ vingt-cinq ans, aux réunions de haut
niveau au Vatican. A cette époque, on pouvait rencontrer dans les bureaux de la
Secrétairerie d'Etat, y ayant ses libres entrées, le père du futur Paul VI, le
journaliste politicien Giorgio Montini, dont l'idée d'un parti politique
patronné par l'Eglise avait séduit Rampolla. Le Pape Léon XIII en revanche
n'avait pas été convaincu. Giorgio Montini était lié au cardinal Rampolla par l'intermédiaire
d'un ami commun, intime et confident de ce dernier Mgr Radini-Tedeschi, qui
sera longtemps collègue de Della Chiesa à la Secrétairerie d'Etat. Angelo
Roncalli, originaire d'une famille de paysans pauvres, dut sa formation et son
élévation à l'épiscopat entièrement à Radini-Tedeschi, devenant le secrétaire
privé de cet évêque dont il écrivit la biographie à sa mort.
Compte tenu du puissant charisme personnel du cardinal
sicilien et de l'orientation attribuée à ses engagements, les Catholiques
traditionnels ont vite fait de dénoncer « une clique Rampolla » et
même « une Maffia Rampolla ». Qu'il y ait eu alliance entre ces hommes,
ce fut certainement le cas. Le quotidien du Vatican l'Osservatore Romano admit dans un éditorial célébrant l'élection
du Cardinal Roncalli à la papauté en 1958 que c'est Benoit XV (Giaccomo della
Chiesa) qui, de même qu'il l'avait fait pour Achille Ratti (Pie XI) et Eugenio
Pacelli, avait mis le pied de celui qui fut Jean XXIII sur la première marche
de l'échelle montant au Siège de Pierre. Il faut lire aussi le tome II du livre
de Frère Michel de la
Trinité Toute la Vérité sur Fatima. Il explique toutes
les relations ambiguës de Pie XII avec le 33e Roosevelt, Montini, Béa…
1) Le personnage "Diana Vaughan" est une mystification du provocateur anticlérical Léo Taxil, qui mélangeait le vrai et le faux dans le but de discréditer l'Eglise.